Troubles du sommeil - 13 minutes de lecture
Le bruxisme, ou quand votre sommeil grince
Que peut-on faire contre le bruxisme ?
Avez-vous déjà entendu parler du bruxisme ? Ce terme, s’il n’est justement pas très parlant, peut en revanche s’avérer être un sujet grinçant, au sens littéral, voire bruyant dans certains cas. Le bruxisme est un trouble fonctionnel qui ne passe pas inaperçu, tant il peut laisser apparaitre des séquelles physiques assez importantes et handicapantes, et ce, même s'il se produit de manière inconsciente.
Mais alors, que sait-on vraiment à propos du bruxisme, cet étrange phénomène qui, s’il n’est pas un trouble du sommeil à proprement parler, peut se faire entendre, même à notre insu, de nuit comme de jour ? Quelles peuvent être les causes du bruxisme, et que peut-on faire pour le traiter ? Pour (presque) tout savoir sur le bruxisme, c’est par ici !
Qu’est-ce que le bruxisme ?
Bruxisme… Le mot en lui-même ne nous donne pas beaucoup d’indications sur ce à quoi il se rapporte, à moins d’avoir été un élève attentif en cours de grec ! En effet, le mot bruxisme provient du grec « brugmos » qui signifie « grincement des dents ». Une fois cette petite précision faite, tout devient beaucoup plus clair, n’est-ce pas ?
Le bruxisme est en effet un trouble fonctionnel provoquant le grincement des dents, auquel peut s’ajouter ou se substituer le serrement de celles-ci. Le bruxomane (terme désignant une personne souffrant de bruxisme) grince des dents et/ou serre des dents, et ce, de manière involontaire. On appelle cela une parafonction manducatrice, c’est-à-dire une activité de serrement et de friction dentaire qui n’a pas de but fonctionnel.
Cette parafonction, tout comme les parasomnies (apnée du sommeil, terreur nocturne…), se produit de manière arbitraire et inconsciente. Le bruxisme, même s’il n’est pas considéré comme un trouble du sommeil à part entière, se manifeste majoritairement durant le sommeil. Il s’agit du bruxisme nocturne. Comme nous le verrons plus tard, on peut envisager des liens entre ce phénomène et certains troubles du sommeil (apnée du sommeil notamment), ce qui ferait du bruxisme un trouble moteur lié au sommeil. Cependant, une autre forme de ce trouble fonctionnel peut se produire en journée, on parle alors de bruxisme diurne. Ce dernier est, lui, plus « conscientisé » puisqu’il intervient lorsque l’individu est éveillé, et est donc plus simple à diagnostiquer.
Qu’il soit nocturne ou diurne, le bruxisme peut prendre 2 formes différentes:
- bruxisme dynamique (ou excentré) : frottement des dents du bas sur les dents du haut produisant un grincement plus ou moins fort
- bruxisme statique (ou centré) : serrement plus ou moins prononcé de la mâchoire
En outre, il faut savoir que le bruxisme, peu importe son type ou sa forme, est considéré comme une dysfonction temporo-mandibulaire (« DTM »). Sachant cela, vous voilà prêts à briller en société !
Enfin, pour la petite anecdote, on pense qu’à l’origine, ou au niveau évolutif, cette parafonction servirait à faire tomber les dents de lait. Désormais, vous le saurez, une petite dose de grincement dentaire pourrait permettre aux enfants de perdre plus rapidement leurs dents de lait afin de ne pas attendre la petite souris trop longtemps ! Voilà ce qu’on pourrait appeler « la magie de l’évolution ».
Le bruxisme en quelques chiffres
Le bruxisme est peut-être plus répandu qu’on pourrait le supposer. Sur ce sujet, plusieurs études s’accordent autour de la même prévalence. En effet, une étude réalisée en 20131 s’appuyant notamment sur des questionnaires estime que le bruxisme toucherait entre 5,5 et 7,4 % de la population. Ce chiffre est globalement confirmé par une enquête transversale de 20162 publiée sur le très sérieux site « Sleep Research Society », cette dernière évaluant à 8,6 % la prévalence du bruxisme dans la population adulte.
Les enfants sont également touchés par le bruxisme, et même dans une plus grande proportion que les adultes. Cela peut sembler logique si on considère le facteur évolutif précédemment évoqué. Ainsi, la prévalence estimée du bruxisme chez les enfants (entre 4 et 17 ans) se situe entre 15%3 et 26%4 selon les études auxquelles on se réfère.
Le bruxisme toucherait donc davantage les enfants que les adultes, mais qu’en est-il de la parité hommes-femmes sur le sujet ? À la vue d’une étude de 20155, la parité existerait bien pour ce trouble fonctionnel puisque le bruxisme du sommeil (bruxisme nocturne) toucherait autant les hommes que les femmes. En revanche, le bruxisme diurne concernerait davantage les femmes que les hommes. On pourra peut-être trouver une explication à cet état de fait en analysant un peu plus tard les facteurs liés au bruxisme, en constatant que le bruxisme nocturne et le bruxisme diurne n’auraient pas les mêmes causes ! Nous y reviendrons.
Si le bruxisme nocturne est majoritairement de type excentré (grincement latéral des dents du haut sur celles du bas), le bruxisme diurne, lui, est essentiellement centré (serrement continu de la mâchoire de type parafonctionnel). La « la Fondation Sommeil6 » et plusieurs recherches ont constaté que le bruxisme du sommeil est largement plus répandu que le bruxisme diurne, à hauteur de 80 % des cas.
Les chiffres nous montrent que le bruxisme se manifeste à tout âge, de nuit comme de jour, et de différentes façons. Comment peut-on alors expliquer un tel phénomène, et quelles sont ses origines ? That is the « grinçante » question !
Quelles sont les causes du bruxisme ?
Autant vous le dire tout net, comme pour beaucoup de troubles du sommeil ou de parasomnies, les causes exactes du bruxisme ne sont pas encore bien connues. Cependant, une majorité de spécialistes s’accordent à dire que les origines de ce phénomène sont multifactorielles7, mais principalement centrales (liées au système nerveux centrale) et psycho-affectives (stress, anxiété). De plus, des mécanismes psychologiques, locaux, génétiques ou pharmacologiques peuvent aussi expliquer ce trouble fonctionnel. Afin d’y voir plus clair, voici quelles seraient les principales causes du bruxisme8 :
- influence psycho-affective : stress, anxiété, hyperactivité
- facteurs locaux : traumatismes faciaux, malocclusions dentaires, troubles temporo-mandibulaires (TTM), inflammations…
- hygiène de vie : consommation d’alcool et de tabac, mauvaise alimentation
- mécanismes hormonaux : désordre endocrinien
- facteurs pharmacologiques : prise de stupéfiants (ecstasy, cocaïne, méthamphétamines), prise de certains médicaments (antidépresseurs, ISRS…)
- lésions du système nerveux central : maladie d’Alzheimer, épilepsie, maladie de Parkinson…
- troubles psychiatriques (« bruxomanie » pour les psychiatres) : dépression, névroses, schizophrénie, boulimie, anorexie…
De plus, certains facteurs de prédispositions existent. Comme nous l’avons évoqué précédemment, si les enfants sont plus particulièrement touchés, certaines études ont révélé l’existence d’une prédisposition génétique au bruxisme. En effet, 37%9 des personnes souffrant de bruxisme auraient un parent proche (au 1er degré) ayant souffert du même trouble au cours de sa vie.
En outre, il semble que le bruxisme toucherait majoritairement les femmes10, du fait notamment de sa « composante émotionnelle » (les hommes ne seraient-ils pas assez sensibles… au bruxisme diurne ?) En effet, les physiopathologies des bruxismes diurnes et nocturnes ne sont pas les mêmes ! Pour synthétiser, on peut considérer que :
- le bruxisme diurne serait une parafonction « émotionnelle », une sorte de tic quotidien, lié au stress, à l’anxiété et aux facteurs psychosociaux, il est donc irrégulier et dépend des fluctuations émotionnelles
- le bruxisme du sommeil aurait une origine « centrale » (SNC), il serait en lien avec une influence psycho-affective (micro-réveils durant la phase de sommeil paradoxal)
Comme vous pouvez le constater, les causes du bruxisme ne sont pas si simples à identifier et à catégoriser. Néanmoins, si vous avez encore un peu de place dans votre mémoire et dans l’hypothèse où vous souhaiteriez (encore plus) briller en société, sachez qu’une certaine théorie « Thégosis » existe. Quésaco ? Il s’agit en fait d’une théorie inventée par Every11, laquelle propose que le bruxisme soit une habitude « héritée des animaux, avec une signification biologique » et qui consisterait à « garder des dents pointues et perçantes pour les carnivores » et à « maintenir du tonus dans la mâchoire ». Cette tension animale interne (colère, agression) ou externe (face à une menace ou un danger) pourrait ainsi être assimilée au stress humain ! Le bruxisme révèlerait-il ainsi notre côté bestial ?
Comment le bruxisme se manifeste-t-il ?
Les bruxomanes présentent très souvent les mêmes symptômes, bien que les conséquences du bruxisme puissent varier en fonction de l’intensité et de la fréquence du trouble. Voici les principaux symptômes du bruxisme12 :
- usure prématurée de l’émail dentaire et/ou de la dentine
- hypersensibilité dentaire
- douleurs au niveau des joues, des oreilles, des tempes et de la mâchoire (surtout au réveil)
- dysfonctionnement de l’appareil manducateur : blocage bouche fermée, blocage bouche ouverte, claquement à l’ouverture de la bouche
- récession parodontale (déchaussement des dents)
- échec implantaire (usure et/ou fracture de prothèse)
- douleurs musculaires ou vertébrales
Afin de compléter les caractéristiques du bruxisme, on peut également s’appuyer sur les travaux de l’AASM (« American Academy of Sleep Medicine ») ainsi que sur ceux de plusieurs scientifiques, lesquels ont officiellement définit le bruxisme dans une publication13 appelée « International consensus on the assessment of bruxism » (« Consensus international sur l’évaluation du bruxisme »). D’après ce consensus, un seul symptôme isolé n’est pas suffisant pour caractériser le bruxisme, d’où le classement14 suivant des différents stades caractéristiques (Lobbezoo 2013) :
- stade 1 : « présence d’un grincement dentaire régulier et audible au cours du sommeil »
- stade 2 : « présence d’un grincement dentaire régulier et audible au cours du sommeil avec facettes d’usures dentaires »
- stade 2 : « présence d’un grincement dentaire régulier et audible au cours du sommeil avec facettes d’usures dentaires, ainsi que d’une douleur transitoire de la mâchoire au réveil, d’une fatigue musculaire ou de difficultés à ouvrir la bouche »
Comment peut-on diagnostiquer le bruxisme ?
Le « consensus international sur l’évaluation du bruxisme » peut servir de base pour effectuer un diagnostic du bruxisme, même s’il en définit davantage les symptômes. Cependant, c’est l’ASDA (« American Sleep Disorders Association ») qui, en 1990, classifie les signes cliniques permettant d'identifier le bruxisme nocturne15 :
- perception sonore des grincements ou du serrement dentaire
- usure dentaire précoce
- inconfort, fatigue ou douleurs musculaires, ainsi que la mâchoire serrée au réveil
- hypertrophie des muscles masséters lors du serrement volontaire énergique
Il convient de préciser que la validité scientifique de ces critères n’a pas encore été établie. Aussi, au-delà de ces critères « standards » (même si non prouvés scientifiquement), on peut également recourir à la polysomnographie afin de vérifier un diagnostic de bruxisme du sommeil. Cet examen, en plus de l’examen clinique, reste le plus fiable pour détecter ce trouble fonctionnel.
De plus, des comorbidités entre le bruxisme et d’autres pathologies sont aujourd’hui avérées :
- céphalées, acouphènes
- apnée du sommeil, troubles du sommeil (« SAOS ») : 3 à 5%16 des personnes souffrant de bruxisme sont également victimes d’apnées du sommeil
- reflux gastro-œsophagiens
L’usure prématurée des dents étant l’un des principaux symptômes aidant au diagnostic (avec le « témoignage » des victimes collatérales du bruit émis par les grincements de dents), il s’avère indispensable de procéder à un diagnostic différentiel afin d’éliminer les autres causes possibles de cet état abimé des dents.
Au regard du nombre important d’études et des différents critères établis pour caractériser et diagnostiquer le bruxisme, on se rend bien compte que ce sujet n’est pas aisé à appréhender. Il n’existe pas de diagnostic formel ou scientifiquement validé, mais juste un ensemble de critères fortement supposés et relativement standardisés (examen clinique des dents, polysomnographie). On peut également y ajouter, de manière plus marginale, les dispositifs d'enregistrements spécifiques17, l’EMG (« électromyographie »), la panoramique, ou encore les dispositifs intra-buccaux.
Enfin, pour conclure ce paragraphe et éclaircir un peu ce (grinçant) diagnostic, voici en résumé le diagnostic du bruxisme issu du fameux « consensus international » établi par Lobbezoo en 2013 :
- « possible » s’il est déterminé selon l’anamnèse et le questionnaire
- « probable » si on y ajoute l’examen clinique et des modèles d’étude
- « définitif » si on complète l’examen par la polysomnographie ou l’électromyographie
Comment traiter le bruxisme ?
Le bruxisme, comme beaucoup de parasomnies et autres troubles du sommeil, ne bénéficie pas d’un traitement de fond. On peut en revanche recourir à un traitement symptomatique adapté, en fonction des caractéristiques propres des individus qui sont confrontés à ce trouble fonctionnel, ou parafonction. Voici les principaux traitements existants :
- gouttière occlusale : permet de protéger les dents et d’absorber la force des mâchoires
- injection de toxine botulique : diminue la force des muscles masticateurs les plus puissants afin de limiter l’impact du bruxisme
- le NTI-TSS
- TCC (« Thérapie cognitivo-comportementale ») : peut limiter l’impact du bruxisme diurne du fait de son action psychologique
- l’hypnose : relativement efficace d'après certaines études18
- le Biofeedback19 : changement comportemental par détection électronique et stimulus
- relaxation : le stress et l’anxiété étant deux des principales causes supposées du bruxisme, pourquoi ne pas essayer une technique de relaxation, ou encore tester un objet spécialement mis au point pour se détendre tel que Hoomband ou encore Dodow, ceux-ci étant simples et efficaces !
Il n’est pas le trouble lié au sommeil qui fait le plus parler de lui, il n’est pas le plus bruyant, quand bien même il peut nous faire grincer des dents, mais pourtant, le bruxisme, qu’il soit nocturne ou diurne, est tout sauf anodin. Comme quelques-uns de ses « cousins » les parasomnies ou les troubles du sommeil, les causes de ce trouble fonctionnel ne sont pas clairement établies. Cependant, les critères standardisés permettent tout de même de l’identifier et de limiter son impact sur la santé ce qui, à la vue des ses potentielles conséquences sur la santé (usure prématurée des dents, diverses douleurs faciales ou musculaires, sommeil non réparateur), n’est déjà pas si mal !
Pour compléter et illustrer cet article sur le bruxisme, voici une petite vidéo mise en ligne par la chaine « Osmose » et permettant de mieux mettre en perspective cet étrange phénomène !
Sources : [1] Polysomnographic study of the prevalence of sleep bruxism in a population sample, M. Maluly, M. L. Andersen et al, « Journal of dental research », juillet 2013 [2] et [9] Sleep Bruxism-Tooth Grinding Prevalence, Characteristics and Familial Aggregation: A Large Cross-Sectional Survey and Polysomnographic Validation, Samar Khoury, PhD, Maria Clotilde Carra, DMD, PhD et al, « Sleep Research Society », novembre 2016 [3] Prevalence and risk factors of sleep bruxism and wake-time tooth clenching in a 7- to 17-yr-old population, Maria Clotilde Carra , Nelly Huynh et al, « European journal of oral sciences », octobre 2011 [4] The Prevalence of Bruxism and Correlated Factors in Children Referred to Dental Schools of Tehran, Based on Parent's Report, Bahman Seraj, DDs, Ms, Mehdi Shahrabi, DDs, Ms et al, « Iranian journal of pediatrics », juin 2010 [5] Bruxism: Conceptual discussion and review1 Bruxism:, R. V. Murali, Priyadarshni Rangarajan et al, « Journal of pharmacy and bioallied sciences », avril 2015 [6] Le bruxisme, site « Fondation Sommeil », 2020 [7] Bruxisme du sommeil : aspects fondamentaux et cliniques, B. Chapotat, O. Robin et al, site « Researchgate », janvier 1999 [8] Sleep bruxism neurobiology, F. Aloe, site « Sleep Science », 2009 [10] Current Treatments of Bruxism, Marc Guaita, DMD, PhD and Birgit Högl, MD et al, « Current treatment options in neurology », 2016 [11] Bruxisme du sommeil : aspects fondamentaux et cliniques, B. Chapotat, O. Robin et al, site « sommeil.Université Lyon1 », 2020 [12] Bruxism Management, Sona J. Lal, Kurt K. Weber, « Stats Pearls », février 2020 [13] International consensus on the assessment of bruxism: Report of a work in progress, F. Lobbezoo, J. Ahlberg et al, « Journal of oral rehabilitation », juin 2018 [14] Bruxism defined and graded: an international consensus, F Lobbezoo 1, J Ahlberg et al, « Journal of oral rehabilitation », janvier 2013 [15] et [17] Validité du diagnostic du bruxisme du sommeil, E. D’Incau, J.A. Micoulaud Franchi et al, « Revue d’odonto-stomatologie », octobre 2017 [16] Relationship between sleep bruxism and sleep respiratory events in patients with obstructive sleep apnea syndrome, Hisashi Hosoya , Hideki Kitaura et al, « Sleep and Breathing », décembre 2014 [18] Sleep bruxism treatment, F. Aloe, site « Sleep Science », 2009 [19] Biofeedback for treatment of awake and sleep bruxism in adults: systematic review protocol, Sasa Ilovar, Danaja Zolger et al, « Systematic reviews », mai 2014